samedi 6 mars 2010

Galilée le théologien II

Tommaso CampanellaImage via Wikipedia














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Enfin parut, en 1632, le Système du monde de Galileo Galilei, ouvrage dans lequel, sous une forme ironique et mordante, Aristote et son influence, et surtout l'Inquisition et l'Église même étaient livrés au sarcasme. Ce livre fut traduit devant l'Inquisition, et Galilée fut sommé de comparaître en personne, à Rome. Il y arriva le 14 février 1633. « Comment y fut-il traité? Avec des égards inusités, avec des attentions particulières, avec des ménagements qui attestaient le respect public pour son génie . » « Tout le temps du procès, dit sir Galilée Brewster, fut traité avec une déférence, marquée. Abhorrant, comme nous devons le faire, les principes et les pratiques de cet odieux tribunal (continue l'auteur anglais), blâmant son usurpation sur le domaine de la science, cependant nous devons admettre que dans cette occasion les délibérations ne furent pas dictées par la passion, ni son pouvoir dirigé par la vengeance. Traduit à la barre comme hérétique, Galilée se présenta avec les attributs dont ce tribunal était gardien, on accorda à son génie le plus profond respect et à ses infirmités là plus grande commisération. » Au commencement d'avril, quand vint l'examen de la personne, ou le transféra au saint office; mais au lieu dé le soumettre à l'emprisonnement cellulaire, selon M coutume, on lui donna des appartements dans la maison du fiscal de l'Inquisition. Sa table fût fournie par l'ambassadeur, et son domestique, qui eut la permission de le servir, dormait dans un appartement voisin. Cette réclusion presque nominale parut néanmoins insupportable à Galilée. îl parait que le cardinal Barberini eut connaissance de la disposition de son esprit. Avec une générosité qui sera toujours honorée par la postérité, il élargit "le philosophe sous sa propre responsabilité, et dix jours après le premier examen, le dernier jour d'avril, Galilée fut rendu au toit hospitalier de l'ambassadeur toscane.. . » L'Inquisition ayant interrogé Galilée lui accorda un temps convenable pour préparer sa défense. Ils sentit alors difficulté d'alléguer quoi que ce fût qui ressemblât à une justification plausible de sa conduite, et il eut recours à d'ingénieux mais vains artifices, qui furent considérés par le tribunal comme une aggravation de sa faute. » Personne, ajoute Mallet du Pan, n'ignore que Galilée eut la liberté de se défendre, et qu'il se défendit. Cette apologie, conservée dans une de ses lettres manuscrites... est un véritable galimatias. Ce n'est pas la réalité du mouvement de la terre qu'il démontre aux inquisiteurs, il ergote avec eux sur Job et sur Josué » La sentence rendue, la rétractation exigée, la prison commuée en une relégalion à l'hôtel de Toscane, sont assez connues. Cette sévérité fut purement de forme : on voulut intimider les autres catholiques, tentés de faire aussi des commentaires et de désobéir au Saint-Siège. Le but rempli, au bout de douze jours, Galilée se vit maître de retourner dans sa patrie ; il avait si peu souffert pendant sa détention, que, malgré ses soixante quinze ans, il fit à pied une partie de la route de Rome à Viterbe. »

Le récit de Mallet du Pan et celui du sir B. Brewster, que nous avons suivis pas à pas, ne parlent d'aucune douleur matérielle infligée au prisonnier de l'Inquisition. Cependant quelques écrivains, ne pouvant renoncer encore aux circonstances aggravantes de ce déplorable procès, argumentent d'une expression de la sentence même pour établir que Galilée fut livré à la question, et qu'il en contracta une infirmité demeurée incurable . La sentence dit en effet que l'accusé fut soumis à un examen rigoureux, et ce terme, dans le style légal de l'Inquisition, signifiait interrogatoire par voie de tortures. Or, cela est-il conciliable avec ce que l'on vient de lire? Cette expression peut-elle être comprise autrement que comme une formule conservée dans le style de cette austère chancellerie? L'ambassadeur toscan n'aurait-il On a dit, mais sir David Brewster ignore sur quel fondement, que Galilée, se relevant après son abjuration, frappa du pied, et dit à voix basse à l'un de ses amis: E pur si mime. (Et cependant elle se meut!) pas immédiatement protesté? Dans le cas où, pour un intérêt momentané, Galilée se fût imposé le silence, n'aurait-il pas plus tard exhalé sa plainte?... Mais pourquoi se poser de telles questions quand pas un fait ne les motive, sinon le délire imbécile de quelques écrivains dont le nom seul est la première des condamnations. « Il faut, dit Mallet du Pan, entendre Galilée lui même, pour se faire une idée juste de ces chimériques souffrances, dont on ne cesse de parler dans de prétendus livres historiques. »

Une lettre conservée à la bibliothèque impériale de Paris, et que M. de Falloux a publiée le premier, montre à nu l'étal de son âme et la liberté de ses épanchements au dehors (janvier 1634). Elle est adressée à un ami : « Je passe maintenant au sujet de votre lettre, et, voulant répondre aux questions que vous m'adressez à plusieurs reprises sur les malheurs que j'ai eus à supporter, je ne pourrais que vous dire, en résumé, que, depuis bien des années, je n'ai jamais été mieux en santé, grâce à Dieu, qu'après ma citation à Rome. J'ai été retenu cinq mois en prison dans la maison de l'ambassadeur de Toscane, qui m'a vu et traité, ainsi que sa femme, avec un si grand témoignage d'amitié qu'on n'eût pu mieux faire uh l'égard de ses plus proches parents. Après l'expédition de ma cause, j'ai été condamné à"une prison facultative libre arbitre de Sa Sainteté. Pour quelques jours,fi .,cinq mois en compagnie du Père de Saint-Iré et en visites continuelles de la part de la noblesse do cette ville... N'ayant donc point souffert dans les deux choses qui doivent seules nous être chères au-dessus de toutes le autres, je veux dire dans la vie et dans l'honneur;... au contraire, étant à l'abri sous ces deux rapports... H faut que les amis absents se contentent de ces généralités ; car, tous les incident, qui sont en grand nombre, surpassent de trop les limites d'une lettre... » Dans une autre lettre, il trace avec une grande liberté d'esprit le portrait de ses juges, et n'indique nulle part ni réticence, ni arrière-pensée. u Comparez maintenant, dirons-nous avec Mallet du Pan, comparez cette sérénité avec les lamentations de tant d'usurpateurs du martyre, qui remplissent l'univers de leurs brochures et de leurs clameurs, lorsqu'on leur a défendu un méchant livre Comparez ce récit avec le tableau de fantaisie tracé par des romanciers qui s'intitulent historiens, et toujours suivis de cinquante plagiaires. » Galilée mourut le 8 janvier 1642, dans la 78e année de son âge, après avoir vu ses dernières années affligées par des pertes de famille et par une cécité complète. On le voit, ce n'est point comme bon astronome, mais en qualité de mauvais théologien (pour nous servir des termes de Mallet du Pan), que Galilée fut cité au tribunal de l'Inquisition. « En 1622, Thomas Campanella, moine de la Calabre, publia une Apologie de Galilée, dédiée à don Boniface Gaëtani, cardinal, et il paraît, d'après la dédicace, qu'il avait entrepris l'ouvrage par ordre du cardinal, à qui le sacré collège avait confié l'examen de cette question. Après une habile défense de son ami,Campanellarevint, dans la conclusion de son apologie, sur la prohibition des ouvrages de Galilée, et observa que l'effet d'une telle mesure serait de le faire lire et estimer' davantage. La hardiesse de l'apologiste," dit sir Brevster, est sagement tempérée par l'humilité de l'ecclésiastique, et il termina son ouvrage en déclarant qu'il soumet toutes ses opinions écrites ou à écrire aux opinions de sa sainte mère l'Église romaine et aux jugements de ses supérieurs. » Hélas ! si Galilée avait terminé son Système du monde par la péroraison de son apologiste Campanella, et s'il l'avait dédié au Pape, son ouvrage eût pris place dans la bibliothèque du Vatican, à côté du livre de Copernic.

« Si, comme le dit avec raison sir Brewsler, Galilée avait soutenu son innocence, proclamé ses sentiments, s'il en avait appelé aux opinions reconnues des dignitaires de l'Église, et même aux actes de ses pontifes, il aurait déjoué, confondu les accusateurs. Puisque Copernic, prêtre catholique lui-même, avait ouvertement soutenu le mouvement de la terre et la stabilité du soleil ; puisqu'il avait dédié l'ouvrage qui maintenait ses opinions au pape Paul Ht. puisque le cardinal Schomborg et l'évêque de Culm avaient pressé Copernic de publier les nouvelles doctrines, et puisque l'évêque d'Emersland avait érige un monument pour conserver la mémoire de ces découvertes, comment l'Église romaine aurait-elle pu se prévaloir de quelqnes décrets inquisitoriaux comme d'un précédent pour la condamnation et la punition de Galilée? Dans les derniers temps, cette doctrine avait été propagée avec une entière tolérance; bien plus,l'année même des premières persécutions contre Galilée, Paul-Antoine Foscarini, savant moine carme, écrivit un traité dans lequel il expliquait et défendait le mouvement de la terre, et essayait de concilier la doctrine nouvelle avec les passages de l'Écriture qui avaient été employés pour la renverser. Cette remarquable production, datée du couvent des Carmes de Naples, était dédiée au très-révérend Sébastien Fantoni, général de l'ordre des Carmes, et approuvé par l'autorité ecclésiastique. Elle fut publiée à Naples dès l'an 1615, année même des premières poursuites contre Galilée. » Ce ne fut pas la seule défense qui sortit du sein de l'Église «n faveur de Copernic : nous avons parlé de l'apologie de Galilée, par Campanella.

Galilée ne dut ses malheurs qu'à son caractère impétueux, qu'à son-immense orgueil et à son manque de franchise dans toute sa conduite" vis-à-vis de l'autorité ecclésiastique, son juge sur la question théologique, qu'il osa aborder avec tant de témérité, et qu'il ne put soutenir un instant, quand l'heure de la défendre eut sonné. Comment absoudrions-nous Galilée, lorsque son plus grand panégyriste, sir Brewster, se voit réduit à le condamner, et lorsqu'un autre protestant, Mallet du Pan, fait ressortir, pièces en main, tous les torts regrettables de l'illustre physicien ?

(!) Il ne faut pas oublier, en lisant ce mot, que sir Brewster est ennemi de Rome et le panégyriste ardent de Galilée.




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