samedi 6 mars 2010

Galilée le théologien






En 1784, Mallet du Pan, écrivain genevois, publia dans un recueil français, Mensonges imprimés au sujet de là persécution de Galilée. On l'aurait laissé tranquillement faire marcher la terre, s'il ne se fût point mêlé d'expliquer la Bible. Il a pour auteurs Galilée lui même, dans ses Lettres manuscrites, Guichardin et le marquis Nicolini, ambassadeurs des grands-ducs à Rome, tous deux, ainsi que les Médicis, protecteurs, disciples, amis zélés du philosophe impérieux. Doué de remarquable faculté, Galilée partageait ses heures de loisir entre les distractions les plus élevées. Cependant, entre les professions libérales, la médecine était alors une des plus lucratives. Son père résolut de lui faire embrasser cette carrière, et le 5 novembre 1381, Galilée s'asseyait sur les bancs de l'université de sa ville natale. Mais, dès lors, et malgré les justes appréhensions de son père, Galilée délaissait l'art de guérir pour s'adonner avec passion aux sciences exactes. Vaincue par les signes manifestes dont Dieu marque les hautes vocations, la famille de Galilée le laissa suivre sa voie, et bientôt le jeune disciple de l'université devint professeur à son tour par l'entremise du cardinal Del Monte.

Dès l'âge de dix-huit ans, époque de son entrée à l'université, son antipathie innée pour la philosophie d'Aristote prit un libre développement. Comme le dit avec une profonde raison sir Brewster, l'apologiste de Galilée : « Oubliant que tout ici-bas est progressif et que les erreurs d'une génération, passées au crible de la discussion, font place à de nouvelles découvertes, Galilée ne prévoyait pas alors que ses propres théories et ses travaux incomplets seraient un jour aussi soumis à la loupe d'une critique sévère. Il commit donc une véritable faute en fustigeant sans pitié les préjugés de l'ignorance de ses adversaires. Quiconque a l'insigne bonheur de devancer son époque, ne doit pas trouver étrange que ses contemporains moins heureux restent en arrière. Les hommes ne sont pas nécessairement entêtés parce qu'ils s'attachent à des erreurs profondément enracinées et vénérables ; ils ne sont pas absolument stupides, parce qu'ils sont lents à comprendre et lents à embrasser de nouvelles vérités.

« L'innovation, ajoute M. de Falloux , ne se présente pas toujours avec, les signes d'une transition nécessaire, et souvent elle effraye au-delà des bornes d'une prudence raisonnable. Les caractères timides , les esprits tardifs forment d'abord la majorité d'une agrégation d'hommes, même éclairés, en attendant qu'une passion les transporte ou qu'un éclair d'évidence les illumines. C'est cette masse contre laquelle se heurtait Galilée ; la résistance, en outre, n'était pas particulière aux hommes d'Église ni à l'Italie. La France et ses universités avaient donné les plus funestes exemples. Qu'on se rappelle les troubles de nos écoles presque semblables à des guerres civiles.» il faut observer enfin que Galilée n'était pas un simple mathématicien; il cinglait à pleines voiles sur un océan plus orageux. Son œuvre s'appliquait clairement à la rénovation complète des bases de la philosophie, ses découvertes astronomiques ont trop effacé, pour la postérité, ce côté saillant de son action.

» J'ai étudié plus d'années la philosophie (écrivait-il lui-même, que de mois la géométrie. »
La réputation de Galilée était déjà répandue au loin en Europe. L'archiduc Ferdinand, depuis empereur d'Allemagne, honoraient ses cours de leur présence. Le prince Gustave-Adolphe de Suède voulut également recevoir de lui des leçons de mathématiques pendant son séjour en Italie.
De découverte en découverte, Galilée, qui avait, un des premiers en Italie, adopté le système de Copernic, relatif au mouvement de la terre, arriva à vouloir démontrer, par le témoignage de la théologie, ses propres idées à cet égard.
« Copernic avait traité le système du mouvement de la terre avec la simplicité et le sang-froid teutoniques. Il s'était bien gardé de faire intervenir dans cette hypothèse aucune allégation des Livres saints. Plus vif, plus dissertateur, plus amoureux de renommée, Galilée ne se contenta point d'adopter cette vérité physique, ni de l'établir dans ses leçons, il fit dégénérer sa théorie en dispute théologique ; c'était l'esprit du temps ; et l'un des plus grands génies de l'Italie s'échauffa pour mettre d'accord la Bible et la physique.
» Il composa divers mémoires manuscrits à ce sujet, moins hardis que singuliers. Ils alarmèrent les Jacobins, péripatéticiens et inquisiteurs; à ce double litre ils virent de mauvais œil les concordances de Galilée, sans penser à lui en faire un crime...
» Galilée, fort de sa renommée, et désiré à Rome, y arriva en mars 1611. Il y démontra ses découvertes; il fil observer les taches du soleil à la plupart des cardinaux, prélats et grands seigneurs; il en repartit trois mois après. Les acclamations, les hommages, les fêtes ne l'avaient point quitté durant son séjour; personne ne songea à l'accuser d'hérésie, et la pourpre romaine ne couvrait alors que ses admirateurs. Viviani, disciple et biographe de Galilée, c'est-à-dire son panégyriste, convient de cette gloire universelle : comment donc fut-elle troublée?» se demande Mallet du Pan, dont on vient de lire ce qui précède.
Pour conserver à cette discussion son caractère grave et éminemment impartial, nous nous bornerons au rôle modeste de citateur :c'est donc M. de Falloux qui va répondre.
« Le gant était... jeté aux théologiens, et malheureusement ceux qui le relevèrent ne crurent que trop qu'ils avaient la religion à défendre. L'Inquisition évoqua l'affaire...

» C'est dès la première intervention des inquisiteurs qu'il importe de bien préciser la position de ce tribunal, ainsi que la portée de ses actes en cette affaire. Un religieux dénonce un savant, d'autres religieux le jugent; d'où l'on a conclu l'antagonisme de l'Eglise et de la science. C'est le contraire qui fut vrai. Les religieux n'épousent ici que trop les animosités, les préjugés, les vengeances académiques. Les moines occupent une grande place dans l'histoire de Galilée, non à titre de contradicteurs systématiques, mais parce que les monastères étaient alors le foyer le plus ardent des préoccupations et des controverses scientifiques ; et le même homme qu'accusaient des Dominicains et des Jésuites se trouva en même temps défendu par des Jésuites et des Dominicains. »
Les impressions défavorables à Galilée n'étaient pas bien dangereuses, puisque sa seule présence les dissipa. On lui prodigua les mêmes témoignages d'estime et d'amitié. Après ce triomphe, il ne lui restait plus qu'à revenir à Florence, qu'à jouir de la liberté philosophique qu'on lui accordait, qu'à développer son système par les preuves physiques et mathématiques, sans les étayer de discussions très-étrangères au progrès des sciences. Le cardinal Del Monte, et divers membres du saint office, lui avaient tracé le cercle de prudence où il devait se renfermer. Son ardeur, sa vanité l'emportèrent. Il voulut que l'Inquisition pensât comme lui sur des passages de l'Écriture. « Il exigea, dit Guichardin , que le pape et le saint office déclarassent le système de Copernic fondé sur la Bible ; il assiégea les antichambres de la cour et les palais des cardinaux ; il répandit mémoires sur mémoires Galilée a fait plus de cas de son opinion que de celle de ses amis. Après avoir persécuté et lassé plusieurs cardinaux, mais convainquis le cardinal Orsini. Celui-ci, sans trop de prudence, a pressé vivement Sa Sainteté d'adhérer aux désirs de Galilée. Le Pape, fatigué, a rompu la conversation, et il a arrêté avec le cardinal Bellarmin que la controverse de Galilée serait jugée dans une congrégation le 2 mars....'. Galilée met un extrême emportement en tout ceci; et il n'a ni la force, ni la sagesse de le surmonter »
Ces réflexions judicieuses d'un des meilleurs amis de Galilée firent rappeler l'indiscret physicien. Il quitta malgré lui Rome au commencement de juin 1616.
Lui-même, dans ses lettres au secrétaire du grand-duc, fait connaître le résultat de la congrégation j tenue les 6 et 12 mars de la même année. « Les Jacobins, dit-il, ont eu beau écrire et prêcher que le système de Copernic était hérétique et contraire à la foi, le jugement de l'Église n'a pas répondu à leurs espérances : la congrégation a seulement décidé que l'opinion du mouvement de la terre ne s'accordait pas avec la Bible. On a défendu les ouvrages qui soutiennent cette conformité. Je ne suis point intéressé personnellement dans l'arrêt. »
Remarquons, avec Mallet du Pan, qu'avant son départ, ce même Galilée, qui venait d'affronter l'Inquisition et de tout tenter pour en convertir la théologie, eut une audience très amicale du pape Paul V, qui passa près d'une heure avec lui. Le cardinal Bellarmin, il est vrai, lui fit défense, au nom du Saint-Siège, de reparler de ces accords scolastiques entre le Pentateuque et Copernic, mais sans lui interdire aucune hypothèse astronomique. Cette défense fut insérée dans les registres du saint office.
Quand Matteo Barberini monta sur le trône pontifical, sous le nom d'Urbain VIII, Galilée et ses amis saluèrent son élévation à la papauté comme un événement favorable au progrès de la science. Urbain VIII avait été l'ami personnel de Galilée. Quoique incapable, depuis plusieurs années, de voyager autrement qu'en litière; il voulut cependant entreprendre le voyage de Rome, dans le but exprès de féliciter son ami sur son élévation au trône pontifical. Galilée arriva dans la capitale du monde catholique au printemps de 1624. La réception qui l'attendait surpassa de beaucoup son espérance; pendant ses deux mois de séjour au pied du Vatican, le Pape ne lui accorda pas moins de six longues audiences, et l'accueil de Sa Sainteté eut toujours le caractère le plus significatif. Non-seulement Urbain combla Galilée de présents,, 'mais encore il écrivit une lettre au grand-duc de Toscane pour recommander Galilée à sa protection particulière. Non content de s'être assuré l'amitié du Pape, il essaya de concilier au système de Copernic la bienveillance des cardinaux. Il eut à cet effet plusieurs entre- Vues avec différents membres du sacré Collège.
Galilée, comme l'ont très-bien établi Mallet du Pan et sir Brewster, n'eut jamais la conscience des égards qu'il avait rencontrés dans l'Inquisition en 1615. Il emporta, en quittant Rome, une hostilité envers l'Église, comprimée, mais profondément entretenue ; et la résolution de propager son système paraît avoir été chez lui contemporaine de la promesse d'y renoncer. Ainsi, «il imprima, en 1615, un discours adressé à Christine de Lorraine, où les gloses théologiques venaient à l'appui des expériences. Cette vaine dispute, cette prétention prohibée étaient aussi chères à Galilée que l'hypothèse même de Copernic. Rome fut inondée de mémoires, écrits en 1616, où le physicien s'efforçait de faire dégénérer en question de dogme la rotation du globe sur son axe.
« La cour de Rome ne voulait que prévenir d'ultérieures interprétations des Livres saints, confrontés avec la nouvelle philosophie... Galilée était répréhensible d'avoir compromis l'intérêt des sciences, le grand-duc son protecteur, les cardinaux ses partisans, par cette ridicule désobéissance à l'injonction qui faisait sa sûreté. Il ne s'agissait point de la défense de la vérité, mais d'une querelle honteuse, mais de subtilités indignes d'un vrai philosophe. »

Avec une bonté toute paternelle, « le Pape fit parvenir en secret à Galilée les accusations de ses ennemis ; et au lieu de remettre l'examen de son affaire au saint office, il en chargea une congrégation particulière.

La pension donnée par Urbain n'était pas une de ces récompenses que les souverains quelquefois accordent pour les services de leurs sujets. Galilée était étranger à Rome; le souverain des États de l'Église ne lui avait aucune obligation. Ainsi nous devons regarder cette pension comme un don du Pontife romain à la science elle-même, et comme une déclaration au monde chrétien que la religion n'était pas jalouse de la philosophie, et que l'Église romaine respectait et alimentait partout le génie humain.
» Galilée envisagea toutes ces circonstances sous un aspect différent . » Il crut qu'on redoutait la puissance de sa parole, et s'enivrant de ce qu'il croyait déjà le triomphe, il creusa l'abîme au bord duquel la main paternelle de l'Église tentait de le retenir.


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